Présentation

Une certaine controverse entoure l’une des premières productions opératiques dans le monde anglophone : l’opéra Dido and Æneas (1689) de Henry Purcell aurait été initialement destiné à être joué par une troupe de jeunes filles devant un jeune public à la Boarding School for Girls, à Chelsea, à Londres. Faudrait-il en déduire que l’opéra anglais est né en tant que genre musical pour la jeunesse ? Les siècles qui suivirent connurent un véritable essor de l’opéra et de l’opérette en Europe, mais ce fut surtout le public adulte qui était courtisé et ce ne fut qu’au XXe siècle qu’émergea l’intérêt croissant pour les jeunes spectateurs. Aux États-Unis, Aaron Copland composait The Second Hurricane (1937), opéra destiné pour les spectacles d’école, alors qu’au Royaume-Uni Benjamin Britten créait son opéra pour enfants The Little Sweep (1949), puis son opéra-oratorio Noye’s Fludde (1957), lequel associait artistes amateurs et jeunes chanteurs. Dans le monde anglophone, vint ensuite le succès du genre de la comédie musicale qui s’est rapidement tourné vers le jeune public avec des productions célèbres telles que Mary Poppins (1964) ou Chitty Chitty Bang Bang (1968). Plus récemment, une jeune prodige anglaise, Alma Elizabeth Deutscher, débutait à l’âge de sept ans avec son premier opéra The Sweeper of Dreams (2012) ; puis, elle écrivait, à l’âge de dix, son deuxième opéra, Cinderella (2016), devançant le jeune Mozart qui avait douze lorsqu’il composa son premier singspiel Bastien und Bastienne (1768).

De son côté, le conte musical, moins spectaculaire que l’opéra, s’est développé au XXe siècle avec l’avènement des grands médias. Ce genre musico-littéraire, proche de l’opéra et de la chanson, permet de problématiser les œuvres utilisant la parole chantée par un jeune public de manière tout à fait singulière. Comme l’opéra, le conte est doté d’une intrigue et il raconte une histoire, mais sa dimension plus réduite se prête à des usages scéniques plus variés, destinés aux petits théâtres ou aux spectacles d’écoles, notamment grâce à la possibilité de mémorisation facile. Le conte permet indubitablement de soutenir l’attention du jeune public plus aisément en raison de sa durée réduite et grâce à la récitation. Même s’il utilise la musique de manière moins centrale et plus utilitaire que l’opéra, restant attaché à la tradition littéraire du texte, le conte musical n’en demeure pas moins une œuvre musicale à part entière qui et reste surtout connu pour sa visée didactique, voire morale.  

C’est à la croisée de ces deux traditions, proches, mais bien distinctes – celle du conte musical et celle de l’opéra pour enfants – que se situe l’argument de ce colloque qui s’intéressera autant aux œuvres conçues pour les enfants qu’au rôle dévolu aux jeunes musiciens dans le monde du spectacle, proposant d’étudier les productions musicales destinées aux jeunes publics.

D’abord, il s’agira d’interroger les spécificités génériques des compositions pour les jeunes publics (conte chanté, opéra, comédie musicale, etc.). On examinera aussi bien les thématiques que les diverses techniques de composition. Les parties chantées par les enfants, par exemple, sont-elles systématiquement mélodiques et simples à mémoriser ? Quels types de texture sont utilisés ? Existe-t-il un formalisme particulier des œuvres pour la jeunesse ? On pourra également aborder la question des modalités discursives utilisées, comme, par exemple, l’humour qui fait partie intégrante des caractéristiques du conte musical. On s’intéressera aussi à la question des visées pédagogiques, politiques et morales de ces compositions, comme dans les contes moralisateurs de Lisa Lehemann, Four Cautionary Tales and a Moral (1909).

Les pratiques scéniques et participatives constituent un champ d’investigation de premier plan. De nombreuses modalités d’implication des jeunes musiciens peuvent être étudiées : rôles d’enfants, rôles de figurants ou encore chœurs d’enfants, etc. The Little Sweep de Britten fait partie d’une production qui repose sur la logique de l’injonction :  Let’s make an Opera est un appel à participation et un vœu de créativité partagée. On a affaire à un public exigeant qui n’est pas simplement engoncé dans son fauteuil, supportant, dans le silence, plusieurs heures de spectacle. Bien au contraire, il sera impliqué dans le spectacle, amené à y prendre une part active, aspect qui constitue sans nul doute l’une des caractéristiques majeures du spectacle pour enfants. Noye’s Fludde de Britten réunit enfants, musiciens amateurs et professionnels ainsi que l’assemblée des fidèles, généralisant ainsi l’aspect performatif et participatif, tradition anglaise qui remonte au XVIIIe siècle quand on pense au Beggar’s Opera souventjoué par des enfants ou aux représentations destinées aux enfants des opérettes de Gilbert et de Sullivan. La théâtralité, la récitation et le jeu d’acteur sont ainsi intimement liés au conte musical et à l’opéra pour enfants, et nombreuses sont les productions mettent la récitation et la narration au premier plan, souvent pour des raisons de compréhension, comme dans Bang! de John Rutter (1975), dont l’intrigue est basée sur l’événement historique de The Gunpowder Plot de 1605.

Il pourra également être question de traditions spécifiques liées aux modes d’exécution et aux lieux de transmission et de création des œuvres destinées aux jeunes publics. À l’époque moderne, beaucoup de productions de contes musicaux ont vu le jour grâce à la télévision et aux programmes télévisés destinés aux enfants. C’est le cas de l’opéra télévisé américain Amahl and the Night Visitors (1951) de Gian Carlo Menotti. Mais de nombreuses œuvres sont aussi créées en tant que genres de spectacle pédagogique ou spectacle d’école, œuvres didactiques et moralisatrices destinées à être jouées dans un cadre restreint et s’inscrivent dans le cadre de projets culturels d’établissements.

On pourra également s’interroger sur le rapport entre texte et musique. Dans le conte musical, il arrive que la musique ne joue qu’un rôle secondaire d’arrière-plan d’atmosphère, comme dans ce qu’on appelle l’incidental music : c’est le terme employé, par exemple, dans le conte de Lisa Lehemann The Selfish Giant: A story by Oscar Wilde (1911), qui réduit la musique au strict minimum pour privilégier la récitation du texte sur un fonds musical. Du côté du conte musical, quelles sont les modes privilégiés de la relation texte-musique ? Du côté de l’opéra, quel est le rapport entre texte et musique ? Quelles sont les sources des livrets ? Aura-t-on tendance à reprendre des contes ou des histoires bien connus du jeune public comme celle de Pinocchio dans The Adventures of Pinocchio (2007) de Jonathan Dove ? Ou encore, s’agira-t-il de sources documentaires originales comme dans A Place To Call Home (1993) de Edward Barnes, dont le livret prend sa source dans une série d’interviews autour de réfugiés aux États-Unis ?

Enfin, on se penchera aussi sur l’univers du spectacle contemporain et celui des créations actuelles qui parsèment les territoires anglophones. Quelles sont les productions en vogue et comment ont-elles évolué au cours des dernières décennies ? Quelles sont les structures d’accueil et les associations qui viennent en appui aux spectacles pour jeunes publics ? Quels médias sont privilégiés pour la transmission et la vulgarisation de ces productions ? Quelles contraintes doivent être prises en considération dans le travail avec les enfants ? Enfin, quels sont les enjeux financiers et idéologiques de ces productions ?

Ce colloque international est proposé en collaboration entre l’ERIBIA, Équipe de recherche interdisciplinaire sur la Grande-Bretagne, l’Irlande et l’Amérique du Nord de l’Université (UR 2610) de Caen Normandie et l’IDEA, Interdisciplinarité Dans les Études Anglophones (UR 2338) de l’Université de Lorraine. Les problématiques abordées concernent surtout le monde anglophone, mais les communications interdisciplinaires sont également encouragées.

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